Dans cette série de portraits d’auteurs, venez découvrir des écrivains et leur parcours. Auteurs autoédités, en maison d’édition, pour le plaisir d’écrire, de transmettre ou pour en faire son métier, chacun vit sa propre expérience.
Retrouvez ces parcours inspirants au travers d’interviews exclusives.
Pour cette édition, nous rencontrons E. J. Langlois dans un « interscript » — je cite l’auteure — plein d’humour. Commencez de suite votre lecture, en plus de glaner de précieux conseils, vous allez beaucoup rigoler !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon nom de plume est E. J. (prononcez eedjay, à l’anglaise) Langlois (mieux vaut ne pas essayer de le prononcer en anglais !). 😊
Sous ce pseudonyme, je suis auteure, depuis 2017.
Dans la « vie civile », je suis consultante en organisation d’entreprise, avec un parcours dans l’informatique et l’immobilier d’entreprise. Mais depuis peu, je propose aussi des prestations de corrections et de mise en page pour romancières.
En 2020, en pleine pandémie et Brexit, j’ai décidé de quitter Paris et de m’installer à Londres, ma ville de cœur. Les confinements ont prouvé que l’on pouvait travailler de partout, non ?
Pourquoi avez-vous commencé à écrire ?
Parce qu’il était grand temps ! La procrastination, l’autosabotage, l’absence de foi et de persistance, il fallait que cela cesse ! Il n’était tout simplement plus possible de mettre sous le boisseau ma créativité, étouffée par le « sens du devoir », « ce qu’il faut faire dans la vie », toutes ces lignes contraignantes, étouffantes.
Si l’écriture n’est pas encore mon seul moyen de subsistance ([tousse]), elle n’est pas mon seul moyen d’expression : il y a aussi la photo, le point de croix (oui, 😊), le graphisme, le montage vidéo… Mais c’est devenu celui dans lequel je trouve le plus de plaisir, et de loin.
Comment vous est venue l’idée d’écrire votre tout premier roman ?
Je suis une geek, née dans la génération pop culture, grandie avec, devenue adulte avec… Euh, non, adulte, pas vraiment. Juste raisonnable. Enfin, généralement… Bref, je régresse souvent ! Mais la romance ? Pas ma zone de confort du tout ! Trop de codes, d’attendus gnangnan, quand ce n’est pas à la limite du youpornesque… Mon truc, c’est plutôt la science-fiction et la fantasy.
Alors ? L’histoire de la trilogie « Trois.1 » m’est littéralement tombée dessus, fruit d’un ensemble de signes, avant que je l’accepte. J’ai décrit le processus dans un article de mon site : https://www.ej-langlois.com/post/la-genese-de-la-trilogie-trois-1.
Mes personnages me tirant bien la manche, il était évident que l’histoire se déroulerait dans le monde du cinéma et de la télévision, il fallait que cela se passe à Londres, à Los Angeles et à Paris. Ils voulaient me raconter leur parcours, leurs épreuves et leur choix final de vie. Je me suis sentie conteuse : c’est donc tout naturellement que j’ai choisi le temps passé et la 3e personne. Je l’aurais senti autrement comme une usurpation d’identité.
Certains forums relaient des fatwas à ce sujet : des lectrices seraient rebutées parce qu’elles ne « parviennent pas à s’identifier au personnage ». Curieux, ce n’est pas le retour que j’en ai eu. Au contraire, j’ai reçu des messages très touchants de personnes qui se sont reconnues dans les situations du récit, et reconnaissantes de n’avoir pas à les revivre trop durement avec une immersion à la première personne et au présent.
Comment vous êtes-vous lancée dans l’envoi de votre manuscrit aux maisons d’édition ?
Je ne dis pas que je n’ai pas envisagé la solution, mais j’ai immédiatement senti la voie sans issue (voir mon post : https://www.ej-langlois.com/post/se-lancer-dans-l-auto-edition). Donc, je suis passée directement à l’autoédition. Après tout, on vit une époque formidable de liberté sur le sujet. Quelle chance !
Pourquoi vous être lancée dans l’autoédition ?
À part les raisons invoquées dans mon article de blog : parce que je suis d’une arrogance sans fond ! Et une touche-à-tout casse-pied !
Qu’on s’en rende compte : je fais mes propres corrections éditoriales et orthographiques, je n’ai pas de bêta-lectrices (seules quelques amies ont le droit de lire le manuscrit en exclusivité, et je ne veux entendre que les points qui les ont dérangées, pour mieux arbitrer en version finale), je fais ma propre mise en page, et pire que tout, mes propres couvertures ! Ah, et mon site internet, aussi !
Mon seul point noir est évoqué à la question suivante. Mais une maison d’édition traditionnelle n’aurait pas fait mieux (voire pire, quand je lis les posts de nombreuses consœurs).
Quelles sont aujourd’hui toutes vos « taches » en tant qu’auteure ?
Une carrière d’écrivain, de nos jours, c’est censé n’exister que par le marketing. Le bouche-à-oreille est mort, paraît-il.
Or, je suis nulle, dans ce domaine. Nulle.
Je déteste ça. Voilà, c’est dit.
- J’ai un site d’auteur (ej-langlois.com), mais n’y vends pas mes livres en direct. Pour quoi faire ?
- Me les faire pirater encore plus facilement ?
- Devoir gérer les commandes, les envois, au prix que ça coûte, surtout depuis le Royaume-Uni ?
- Devoir gérer la déclaration de TVA, selon les pays de vente ?
- Dans un emploi du temps débordé ?
Merci, il y a quelqu’un de très compétent pour cela : il s’appelle Amazon, et a des tarifs très compétitifs, pour un auteur autant que pour les lecteurs — en plus d’être écologique : les impressions papier se font à la demande.
- J’ai une page Facebook/Instagram, mais ça m’ennuie. C’est chronophage. J’ai l’impression qu’on y parle pour ne rien dire, ou toujours les mêmes choses. C’est pour cela que j’ai écrit les articles de mon blog (peu fourni) : pour ne pas tourner en rond sur du réchauffé. Seulement voilà, il paraît que c’est précisément l’inverse de « ce qu’il faut faire ». Bah tant pis.
- Les courriels façon newsletter ? De temps à autre. Quand il y a vraiment du neuf. Ce qui n’est pas tous les jours, ni toutes les semaines… ni même tous les mois. Là encore, cela évite de parler pour ne rien dire. Et de saouler les destinataires.
- Après des années de pandémie, les rencontres avec les lecteurs, well, well, well… Il n’en était pas question. Finalement, je les ai faites par Messenger/Teams/Zoom. En mode privé. Au moins, on se donne le temps de faire la connaissance de quelqu’un.
- Séances de dédicaces ? Pas mieux. Les frais des salons sont décourageants : coût de voyage, d’hébergement, de stock… quand ce n’est pas carrément celui de participation. (Respect aux auteurs qui le font, soit dit en passant, et aux organisateurs, c’est un boulot de dingue). Et puis, ma « vie civile » étant ce qu’elle est, j’ai aussi des obligations, même en tant qu’indépendante. Surtout, en tant qu’indépendante.
Vous l’aurez compris, le marketing (j’ai failli écrire : « la parade » — ah bah si, je l’ai écrit 😉) n’est pas ma tasse de thé. Trois ans que le groupe d’auteures dont je fais partie essaie de me convaincre. Rien n’y fait : tout ce qui est important est dans mes romans, point.
Nulle, je vous dis…
Écrire cet interscript (puisqu’on ne se voit pas, ce n’est pas view) est bien plus dans mes cordes ! Donc merci de cette opportunité !
Participez-vous à des concours d’écriture ? Pourquoi ?
J’ai participé à trois concours : « Les Plumes de Demain » sur Kobo, avec « Trois.1 : Synopsis anglais » en 2018, Fyctia avec « Police de l’Ombre » en 2019 et « la Raison et la Guerre » en 2020 (une série d’histoires courtes sur la déesse Athéna — intello pop-culture, il faut bien assumer…).
Dans tous les cas, il s’agissait de tester le terrain. Un doigt de pied timide, dehors, pour se dire qu’on a le courage de le faire. Guetter les réactions. Se trouver une assurance, un culot. Certainement pas pour se dire que c’est le lancement de carrière !
J’ai appris beaucoup de choses de ces concours : qu’on se prend vite au jeu (à compter le nombre de lectures, de téléchargements), qu’on s’y angoisse (« Quoi ? C’est tout ? »), qu’on y sautille (« je suis dans les trends ! »), qu’on y jalouse (« pourquoi une telle a X milliers de lectures, alors que son texte est une daube astronomique truffée de fautes et de clichés ? » – oui, c’est moche), qu’on réalise finalement que ce n’est pas grave si on ne gagne pas (c’est même parfois un soulagement), qu’on y rencontre des débutantes de tout poil (adeptes du Darwinisme façon « je t’aime si tu m’aimes d’abord », ou sympas en mode « la Croisière s’Amuse »)…
Bref, une expérience.
Mais surtout, surtout, la leçon la plus importante : méfiez-vous. Ce sont des lieux de piratage incroyable (des idées ou carrément d’œuvres, sans vergogne, où la meilleure défense est l’attaque) et des conditions « d’édition », en cas de participation, de classement ou de victoire, à regarder de très près. J’insiste.
On y trouve des clauses de cession des droits à faire grincer des dents, comme par exemple, celle d’inclusion de facto d’une série complète (directe ou spin-off), sous prétexte que vous avez fait concourir quelques-uns des personnages d’une série que vous écrivez par ailleurs. Pour 70 ans après votre mort. Ben voyons.
Si « Police de l’Ombre » n’est sorti qu’en février 2022, c’était pour écluser les droits de préférence du concours, en vigueur en 2019, forclos en décembre 2021.
Et non, on ne paie pas pour être éditée à l’issue du concours, sous prétexte qu’on a atteint tel ou tel palier de likes. Cela s’appelle de l’édition à compte d’auteur, et c’est de l’arnaque.
Quant aux œuvres complètes présentées à titre gratuit, personne ne les a achetées ensuite. Pas besoin : elles se sont retrouvées directement en téléchargement illégal sur des sites pirates.
Bref, les concours sont des expérimentations, pas des fins en soi. Choisissez-les avec soin, lisez les avis et retours de participants sur les forums, consultez les conditions avant de cliquer sur le bouton d’acceptation.
Comprenons-nous bien : je ne dis pas qu’il ne faut pas y participer. On peut y faire la rencontre de gens incroyables ; c’est mon cas. Mais sachez déceler les faux-amis et les vraies vipères, pour ne garder que le meilleur. Et ne pas vous retrouver coincé dans des droits que vous n’aviez pas imaginé céder, alors même que vous débutez.
Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux auteurs qui se lancent actuellement dans l’aventure ?
Ce qui suit va être contre-intuitif, voire provocateur, mais… Si vous voulez devenir auteur, devenez arrogant. Une règle maîtresse : si vous ne croyez pas en vous, qui le fera ?
Mais en contrepartie, soyez professionnel. Rigoureux. Exigeant avec vous-même avant de l’être avec les autres. Voire, sévère. Une fois que vous vous serez fait plaisir à écrire votre histoire (ça, c’est sine qua non), est-ce que cela fera plaisir à d’autres de la lire ? Est-elle originale, pas une resucée d’un truc à succès, donc déjà écrit par quelqu’un de meilleur que vous ? Est-ce qu’elle vaudra son poids en papier (ou en pixels) ?
Cela implique de se regarder dans la glace et de faire l’état des lieux de ses compétences — réelles, pas supposées. Et de ne se lancer que si on est absolument certain qu’il faut répondre à l’appel. En gardant à l’esprit qu’il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus (ceci dit, pour qu’il y ait des élus, il faut bien des appelés).
Autre conseil : investissez. En formation, en matériel, en logiciel, en accompagnement technique, littéraire ou graphique (corrections, mise en page, couverture), en marketing, si vous n’avez pas les compétences. Évitez les vendeurs de pioches (voir mon blog : https://www.ej-langlois.com/post/auto-édition-les-vendeurs-de-pioches), trouvez des gens sérieux, avec lesquels vous formerez une équipe.
Vous êtes fauché ? Serrez-vous la ceinture. Renoncez au dernier smartphone, à la paire de chaussures, au petit week-end. Mangez des pâtes.
L’écriture est votre passion, oui ou non ?
C’est dur ? Non, c’est franc.
Si vous avez cette niaque, cet aplomb, si vous ne vous excusez pas d’écrire et ensuite, de faire lire… préparez votre cuir, votre enthousiasme et votre certitude, et allez-y.
Quels sont vos projets d’écriture actuellement ?
Une nouvelle paraîtra probablement en septembre : « Le Marcheur ». C’est une courte histoire, inspirée d’un moment de « Trois.1 : Production américaine », où un certain Tom Hayden (on se calme, les filles !) évoque un tournage en Amérique du Sud. J’y ai glissé de nombreux éléments vécus au cours de mon propre voyage au Pérou, en 2015. Il y avait besoin de s’évader, ces dernières années, autant se remémorer les « ailleurs » merveilleux jadis visités !
Je travaille aussi sur une autre nouvelle, une sorte de conte pour Halloween, qui me trotte dans la tête depuis un moment.
Mais il y a bien plus fou que ça : je ne suis pas venue à Londres que pour son thé et le Jubilee de sa Majesté. J’y ai suivi, à la MetFilm Shool, située dans les studios historiques de Ealing (l’équivalent de ceux de Boulogne-Billancourt en France), des cours de scénariste (« screenwriter »).
J’adapte en effet « Trois.1 » en série télévisée, « Police de l’Ombre » en film !
C’est un exercice d’écriture tellement différent ! Beaucoup d’auteurs rêvent de voir leur histoire sur un écran, de Netflix, de Disney+, d’Amazon Prime, de Hollywood. Bon, reconnaissons-le, avec une saga qui se passe dans cet univers, j’avais — grâce à mes recherches et à mes visites à Los Angeles — une longueur d’avance.
En prenant des cours, j’ai franchi un cap : j’ai un orteil dans la place (si, si, on peut être arrogante et humble à la fois). Et ce n’est que le début de l’aventure.
Parce que c’est un travail énorme : l’écriture scénaristique n’a rien à voir avec la littérature. Votre livre de 350 pages ne doit plus en faire que 90 pour un film (une page correspondant grosso modo à une minute à l’écran). Enjoy.
Vous avez sué sur votre 4ème de couverture, votre descriptif et vos mots-clés Amazon ? Vous n’avez rien vu.
En plus d’écrire le script, il faut préparer :
- les pitches (celui de 90 secondes, celui de 10 minutes, celui de 20 minutes) à apprendre par cœur, au cas où le miracle se produise et que vous rencontriez un producteur dans un ascenseur, à un cocktail, en invité d’audition,
- les notes d’intention ou les bibles de série (fiches de personnages, format, audience…),
- les présentations visuelles (voire carrément un court-métrage).
C’est un parcours long, incertain, au moins aussi embouteillé et concurrentiel que la littérature.
Mais vous savez quoi ? Cela me donne envie de me lever tous les jours, de travailler 10 à 12 heures par jour, même les week-ends.
Je ne sais pas si les projets aboutiront, mais ce n’est pas l’important.
L’important, c’est d’y prendre un plaisir fou.
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