Portraits d’auteurs : Sonia Prudan

Dans cette série de portraits d’auteurs, venez découvrir des écrivains et leur parcours. Auteurs autoédités, en maison d’édition, pour le plaisir d’écrire, de transmettre ou pour en faire son métier, chacun vit sa propre expérience.

Retrouvez ces parcours inspirants au travers d’interviews exclusives.

Aujourd’hui, nous rencontrons Sonia Prudan, résidente australienne capable de toucher aussi bien un lectorat francophone qu’anglophone. Elle revendique des écrits engagés dans lesquels les acteurs du XXI ème siècle peuvent s’identifier.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour ! Je m’appelle Sonia Prudan, j’ai quarante ans et je vis en Australie depuis quinze ans. J’ai trois enfants, un chien, des poules et des poissons. Je suis libraire-bibliothécaire de formation, et je travaille dans une université. Lutter contre les discriminations, pour une société plus juste, pour l’égalité des chances, prêter ma voix à ceux qu’on n’entend pas et leur donner une visibilité dans mes romans, sont des sujets importants pour moi. Mes deux grandes passions dans la vie sont très simples : le fromage et la lutte sociale.

Pourquoi avez-vous commencé à écrire ?

J’ai toujours écrit. Je ne me souviens pas avoir un jour « commencé » à écrire. J’imagine qu’enfant, un jour, j’ai appris à marcher, à parler et à écrire : le jour où j’ai su tenir un crayon, j’ai commencé à écrire et je n’ai jamais arrêté. Quand je n’écris pas sur papier (ou clavier), j’écris dans ma tête. Je passe probablement douze heures par jour à raconter des histoires ! Un des avantages d’écrire, pour moi, c’est de me rappeler mes rêves. Je pense que j’écrivais au départ pour ne pas oublier toutes ces créations éphémères. J’ai toujours été inquiète à l’idée d’oublier des choses. J’ai une très mauvaise mémoire : si je n’écris pas, j’oublie. Il y a eu d’autres avantages, au fil des ans : par exemple, c’était cathartique, dans ma jeunesse, je survivais à une enfance difficile et l’écrire me permettait de passer à autre chose. Une autre fonction importante de l’écriture, pour moi, c’est de remplir un vide dans le monde littéraire. Je lis énormément et il m’arrive d’être frustrée de ne pas trouver de représentation à certains sujets qui sont chers à mon cœur. Même si l’histoire et les évènements d’un roman ne sont pas toujours originaux, j’ai besoin de me voir dans un livre et de voir les gens qui me sont proches. Nous identifier rachète les fautes d’un roman, à mes yeux. J’aime les histoires de tout temps, pour ce qu’ils disent sur leur auteur : un roman médiéval-fantastique écrit à travers la lorgnette de 2022 n’a rien à avoir avec un roman medfan écrit il y a vingt ans ou cinquante ou cent. Je me sens trahie quand je lis un roman superbe d’où sont exclus le handicap, les femmes, les communautés LGBT, les émigrés, les nomades, etc. (selon l’auteur et son époque). Je vis ça comme un challenge : oui, c’était un super roman, mais maintenant il nous faut du XXIè siècle s’il vous plait.

Comment vous est venue l’idée d’écrire votre premier roman ?

Je répondais plus haut que j’ai toujours écrit, et du coup c’est difficile pour moi de répondre à cette question, parce que je ne sais pas trop quel était mon premier roman. J’écris en parallèle, plusieurs histoires. Et, des fois, je me fais violence : je me force à ne pas commencer une nouvelle histoire (et je le vis très mal !). Je regarde alors tous mes brouillons, j’essaie d’avoir un regard extérieur sur ce qui est publiable ou pas, sur quel projet me permettra enfin de fermer une boucle et de passer a la suite. À un moment, « Les maîtres du chant » était « presque fini » : il ne restait plus qu’à tout changer, tout réorganiser, tout relire, tout changer à nouveau, et peaufiner pendant à peine deux ou trois mille heures. Une broutille ! Du coup, c’est cette histoire qui a eu grâce à mes yeux et je me suis concentrée dessus pendant deux ans. Émotionnellement, c’était un vrai challenge : interdit (ou presque) d’écrire quoi que ce soit d’autre. Et donc, pourquoi ce roman ? d’où vient-il ? Eh bien, il vient d’un rêve (je vous l’avais dit, tout vient de mes rêves). J’avais en me réveillant cette scène très claire, vivide : une femme en haut d’une colline qui a le pouvoir de réveiller les morts, qui voit au loin une armada ennemie et qui veut protéger ses amis. C’était assez simple, et à la fois très compliqué. Je devais reconstruire tout ce qu’il me manquait : elle était puissante et respectée des siens, comment ? elle cherchait à racheter ses fautes, lesquelles ? elle trahissait sa famille, pourquoi ? J’ai écrit ce livre dans n’importe quel ordre (je suis toujours impressionnée par les auteurs de nanowrimo et autres auteurs qui peuvent écrire dans un ordre chronologique — j’en suis incapable ! J’écris tout et n’importe quoi, comme un puzzle. Je retourne la boite sur une table, et ensuite je remets les pièces où il faut !). Et donc, j’avais cette idée de base, et je ne savais même pas dans quel contexte historique cela se placerait et j’avais cet apriori difficile sur le personnage principal : elle se rachetait, donc elle devrait commencer par être antipathique. Elle ne savait pas trop d’où elle venait, donc on ne saurait pas non plus d’où elle venait. Elle était puissante et respectée dès le départ, donc elle n’aurait pas à se construire un happy ending avec les lecteurs. Je me souviens du commentaire d’un de mes relecteurs selon lequel on s’attache difficilement à l’héroïne au début, on ne la connait pas parce qu’elle ne se connait pas elle-même, et elle part d’aussi haut que possible sur l’échelle sociale (donc oui, on reconnait les ficelles fantasy, mais pas plus que ça). Et, en lisant ce commentaire, j’étais tellement contente parce que c’était vraiment ce que j’avais en tête. Donc, pour en revenir au contexte historique et au choix narratif : une femme puissante, une armée de bateaux, ce serait médiéval. Et ce serait une uchronie.

Vous êtes bilingue français/anglais. Dans quelle(s) langue(s) publiez-vous ? Avez-vous constaté des différences entre le marché anglophone et le marché francophone concernant la lecture ?

J’écris dans les deux langues, ce qui est un vrai défi pour moi à ce point de ma vie : je n’arrive pas à traduire à la volée ce que j’écris, parce que je ne me rends même plus compte de quelle langue j’utilise à tout instant. Mais, d’un autre côté, c’est aussi une force parce qu’il y a des images et des métaphores que j’ai apprises en anglais et qui n’existent pas telles quelles en français — c’est plus de cordes à mon arc (more tricks up my sleeve!). Et donc, je publie en anglais ou en français, selon la langue qui me semble coller le mieux à mon histoire. J’aimerais bien traduire mes romans longs en anglais, mais je me rends compte que je n’écris pas la même histoire dans une langue ou dans une autre : une belle robe rouge en français deviendrait « a deep blue dress » en anglais, parce que cela sonne mieux à mes oreilles ou parce qu’à cause des changements précédents mes personnages ont déjà évolué et sont devenus des entités très différentes. Idéalement, je ne veux pas trahir mes lecteurs en traduisant selon mes propres critères, donc pour le moment j’en reste à une langue par histoire. L’exception à la règle, pour bien illustrer ce phénomène : ma micro-nouvelle « Les enfants d’Éon », histoire de robots, transhumains et terroristes dans un futur proche, que j’ai écrite en anglais et ensuite traduite en français. Le président est un « commander » en anglais et les terroristes sont très différents d’une langue à l’autre, presque sympathiques en anglais. En traduisant cette nouvelle, je n’arrivais juste pas à garder le contrôle sur l’histoire : elle s’imposait à moi différemment en anglais et en français. Dont acte.

Pour en revenir au marché et à la publication, je n’ai pas noté de différence majeure entre la publication de mes écrits français et celle de mes écrits anglais, mais c’est sans doute parce que j’utilise la même plateforme pour les deux. Par contre, je ne peux pas compter sur mes cercles d’amis anglophones pour faire la pub de mes romans français ; et vice-versa. Une petite anecdote sur les différences culturelles dans ma carrière d’écrivain ? Emballée par le mouvement Wordle (comme tout le monde anglophone), j’ai lancé un petit jeu pour se motiver à écrire tous les jours : le #lit_tle challenge (deux mots de contrainte pour un mini-texte par jour). « Gros » succès chez les anglophones ! (et chez moi !), mais pour ainsi dire, aucun intérêt chez les francophones. Et pour cause, compris-je bien plus tard : Wordle, c’est globalement Motus — concept bien trop connu en France, et pas du tout en Australie. Aucun intérêt pour les francophones ! (ça ne m’empêche pas de remplir mon #lit_tle challenge en français aussi, tous les jours !)

Quel type d’édition avez-vous choisie ? Pourquoi ? 

Pendant longtemps, j’ai rêvé d’être publiée à compte d’éditeur. J’ai grandi avec ce but ultime (être publiée à compte d’éditeur un jour) et avec cette contrainte ultime (en attendant, il fallait bien survivre). Et donc, en attendant, j’ai suivi une carrière traditionnelle tranquille, fondé une famille, coché les cases habituelles du bingo de la vie. J’ai eu beaucoup de chance en tant que jeune adulte : j’ai trouvé un job, et j’ai pu continuer à écrire dans mon temps libre, sans trop de difficultés matérielles. Je me suis retrouvée, la trentaine, avec une certaine stabilité financière et une pelletée de brouillons littéraires. Je n’avais plus besoin d’être publiée, mais je voulais toujours être lue. Parallèlement, je découvrais l’internet libre, gratuit, les nouveaux modes de création, des outils et supports qui n’existaient pas dans ma jeunesse, la fanfiction, les blogs, etc. : c’est un univers fait pour l’autoédition. J’étais emballée. Le monde me donnait l’opportunité d’être publiée, sans attendre le mécène ou la chance de toute une vie. Pour quelqu’un qui se fiche de gagner sa vie en publiant, l’autoédition est parfait. Je ne dénigre pas pour autant l’édition classique, à compte d’éditeur, et la distribution classique en librairie — un service incomparable pour le client. Quand on rentre dans une librairie et qu’on prend en main un livre sur une étagère, c’est la garantie que le livre sera lisible et qu’il a déjà plu aux professionnels du livre (relecteurs, éditeurs, distributeurs, libraires — tous ces gens très qualifiés qui se penchent à votre oreille pour vous recommander ce livre). Inestimable. Mais, pour l’écrivain moderne qui veut répondre très vite à une demande précise, avec une plus grande liberté d’écriture, et pour un public peu nombreux qui ne justifierait pas les risques financiers d’une maison d’édition (trans-loups-garous, quelqu’un ?), l’autoédition sur internet est une vraie solution.

En autoédition, vendre ses livres est un vrai défi. Comment organisez-vous le « marketing » de vos livres ? 

Pour être honnête, je ne fais pas grand-chose. En personne, niet : ce serait très difficile de vendre mes écrits (en majorité français) en Australie. En ligne, c’est plus facile : les réseaux sociaux fournissent des modes de publicité qui sont vraiment pratiques et bien faits. J’ai pu cibler des pays et des publics précis, qui correspondent vraiment à mes besoins. Par ailleurs, comme j’écrivais plus haut, je suis emballée par la publication en ligne et les modes de création modernes : j’ai espoir que mes lecteurs aussi sont très connectés et très modernes. J’ai espoir que mes choix de publicité leur correspondent. Et j’ai toujours été transparente avec mes lecteurs : ils savent exactement ce que me rapportent mes livres (35 % du prix de vente, soit 1 euro par livre quand il coute 3 euros — le prix de mon roman « Les maîtres du chant »). A un euro par livre, il m’en faudrait, des ventes, avant de considérer que j’aie pu être payée au SMIC pour l’écrire… ! J’ai une page professionnelle sur Facebook que j’anime à peu près comme un blog. Et je fais des promos sur mes livres de temps en temps : Amazon les vend moins cher (ou gratuitement), et moi j’en profite pour payer une petite campagne de pub. Du coup, ça donne l’occasion à quelques nouveaux lecteurs de découvrir mes écrits. Quand ils laissent un commentaire, cela donne plus de visibilité à mes romans. Cela n’arrive pas souvent, malheureusement. C’est l’avantage et l’inconvénient de l’autoédition moderne sur internet : il y a énormément de concurrence ! il faut travailler dur pour animer ses ventes. Une autre stratégie que j’ai commencé à mettre en place, c’est de diversifier le format de mes écrits publiés : j’aurais pu me concentrer sur un autre roman long, mais j’ai choisi de publier une nouvelle et une micro-nouvelle. J’ai espoir qu’ainsi certains lecteurs, qui auraient peut-être eu peur de la longueur des « Maîtres du chant », soient tentés par une nouvelle ou une micro-nouvelle, apprécient mon style et décident finalement d’affronter « Les maîtres du chant ».

Comment arrivez-vous à conjuguer votre travail de tous les jours et l’écriture ?

Difficilement ! En plus de mon travail d’écrivain, j’ai trois enfants et un autre travail rémunéré. Je peux vous le dire franchement : je néglige l’un ou l’autre, selon ce qui peut attendre — mais globalement je me néglige, moi. Je dors peu. Je bois beaucoup de café. Je n’essaie même pas d’avoir une vie saine et active, quand je suis en phase d’écriture intense. J’ai testé pour vous : perdre du poids et faire du sport. Ça n’en vaut pas le coup, c’est une arnaque ! c’était ça ou ma vie d’écrivain. Je préfère écrire. Donc, concrètement, je réfléchis à mes romans à tous moments de la journée, et j’écris entre 21 h et minuit. J’écris aussi pendant mes weekends et mes jours fériés : c’est un plaisir pour moi, cela vaut bien n’importe quelle autre activité que je pourrais faire ces jours-là.

Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux auteurs qui se lancent actuellement dans l’aventure ?

Écrivez pour le plaisir, régulièrement. Lancez-vous des défis (petits ou gros). Suivez l’actualité : le monde d’aujourd’hui a besoin d’auteurs d’aujourd’hui. L’environnement a besoin d’auteurs engagés. Les communautés victimes de discrimination ont besoin d’auteurs engagés. Il y a forcément quelque chose qui vous intéresse et qui vous permettra de tenir jusqu’au bout de ce premier roman. Soyez passionné. Si vous êtes timide, donnez-vous des défis raisonnables et logiques sur le plan marketing : vous ne pourrez pas donner une conférence d’entrée de jeu, mais peut-être pouvez-dire dire bonjour sur un blog ? Allez-y pas à pas : c’est un marathon, pas un sprint. Mais, surtout, encore une fois, écrivez pour le plaisir : à défaut d’un salaire décent, vous pouvez en tirer de la joie, de la fierté et plus d’amour propre.

Quels sont vos projets d’écriture actuellement ?

Je travaille sur plusieurs projets en parallèle, comme d’habitude. Déjà, je voudrais traduire en anglais « Corbeaux et cœurs gelés » : c’est une nouvelle dont je suis très fière, pleine de magie, de beauté et de douleur, et dont j’ai espoir qu’elle pourrait m’attirer un nouveau public. Mais, surtout, cela servira à me faire déculpabiliser : je suis gênée quand mes amis anglophones me présentent comme « Sonia, mon amie qui est un auteur incroyable, enfin je n’en sais rien vu que je ne parle pas français, mais je suis sure qu’elle est incroyable ». Si je traduis mes histoires en anglais, ils ne seront plus obligés de me présenter à l’aveuglette. (et je n’ai pas les moyens d’embaucher un traducteur pour ça, donc traduire est mon projet perso de longue haleine !)

J’essaie de diversifier, non seulement mon public, mais aussi mes genres littéraires. Entre « Les maîtres du chant » et « Corbeaux et cœurs gelés », on pourrait me présenter comme un auteur SF/Fantasy/sérieux. Je faisais le point sur tous ces écrits et sur ce qui ne me vient pas facilement : l’humour et les histoires d’amour. Du coup, je me suis donné deux défis et ce sont mes deux gros projets du moment : une histoire d’amour et un roman humoristique. Il y aura des zombies, des créatures nocturnes sexy et des scènes torrides dans une cave… Je suis pressée de voir le résultat ! enfin, les deux résultats. (vous ai-je déjà dit que je suis ma première fan ? j’écris surtout pour moi… !)

Et enfin, je dois absolument me remettre au marketing et à l’animation de ma page Facebook. J’ai des projets de concours, et mon « #lit_tle challenge » qui mérite d’être plus mis en avant. C’est un travail à temps plein, mais j’essaie de le faire intelligemment : que ce soient des projets d’écriture ou des activités marketing, je ne me lance que dans des projets qui m’enthousiasment. Ainsi, c’est un plaisir pour moi de m’y mettre chaque matin.

Sinon, plus tard encore, quand j’aurai le temps (dans une prochaine vie ?), j’ai toujours deux brouillons de livres pour enfants dans un coin de mon cœur. Peut-être. Un jour.

Pour découvrir les romans et nouvelles de Sonia Prudan c’est ici :

https://www.amazon.fr/Sonia-Prudan/e/B085M5CFTD

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